mardi 5 mai 2015

Isabelle ELIZEON : 10 ans de travail à l'atelier théâtre de l'ABAAFE & 10 ans de fête des langues du monde à Brest




Isabelle Elizéon, directrice artistique de la Cie Lasko, à Brest, metteure en scène, comédienne et chercheuse à Paris Sorbonne Nouvelle, en études théâtrales. Animatrice théâtre à l'Abaafe depuis 2005, à Brest.
site internet: www.compagnie-lasko.fr     




















Isabelle Elizéon : le théâtre pour intégrer les étrangers


Le 20 juin 2008, la troupe de comédiens de l'Association Brestoise pour l'Alphabétisation et l'Apprentissage du Français pour les Etrangers présentera son troisième spectacle. Mis en scène par Isabelle Elizéon, « Chercher la vie » est une pièce sur le thème de l'exil.



Isabelle Elizéon travaille depuis près de trois ans avec les stagiaires de l'atelier théâtre de l'ABAAFE, une association brestoise qui propose aux adultes d'origine étrangère d'apprendre notre langue. Si la scène permet à ces personnes venues dans notre pays pour les études ou pour l'activité professionnelle d'être plus à l'aise en public, c'est aussi un tremplin vers leur intégration. « La curiosité des langues me plaît beaucoup, avoue Isabelle Elizéon. C'est formidable d'avoir plein de langues dans une même ville et d'être obligé de parler avec les mains pour trouver des manières de se comprendre qui ne sont pas forcément de l'ordre du langage mais aussi du corps, des mimiques, des sourires... »


Isabelle Elizéon est née il y a 38 ans à Nice d'une mère italienne et d'un papa réunionnais. Après son baccalauréat, elle monte à Paris pour étudier les arts appliqués. « Toute petite déjà, je rêvais de faire un métier dans lequel je pourrais dessiner. Ma mère et ma grand-mère dessinaient beaucoup» se souvient-elle. Puis elle est engagée comme styliste, d'abord dans la capitale française, puis à São Paulo, au Brésil. « J'y suis restée trois ans et demi. J'ai commencé à écrire un roman sur l'histoire de ma famille, puis des contes, parce que je me sentais perdue dans cette grande ville. L'écriture, en français, m'a permis de me retrouver. J'ai aussi du apprendre le portugais ».
Isabelle Elizéon, de retour en Europe, s'inscrit à l'école internationale de théâtre Jacques Lecoq à Paris. Très attirée dans un premier temps par la scénographie, c'est-à-dire tout ce qui touche au graphisme et aux costumes, elle découvre peu à peu le monde de la comédie et a un « véritable coup de foudre » pour cet exercice. « Ce qui m'a plu dans le théâtre, c'était de rentrer dans un processus de création que je n'avais plus dans le stylisme, même en travaillant pour des créateurs, car il y avait un côté industriel avec des obligations financières. Ce qui est important, c'est de partir de rien pour arriver à un résultat qu'on ne connaît pas au début » dit-elle.
C'est à Paris qu'Isabelle Elizéon rencontre son compagnon, natif de Bretagne. En dépit des contacts dans le milieu du théâtre, elle quitte la capitale « pour raisons sentimentales » à la recherche d'une meilleure qualité de vie. Cela fera trois ans, en septembre, qu'elle a mis pour la première fois les pieds à Brest. « J'aime beaucoup cette ville car c'est un port. Je la trouve très belle, avec son architecture des années 50 que je prends d'ailleurs souvent en photo ». Très vite, l'Association Brestoise pour l'Alphabétisation et l'Apprentissage du Français pour les Etrangers lui demande d'animer un atelier de théâtre. « J'ai proposé de créer des spectacles, car à Paris, j'avais déjà travaillé avec des étrangers au sein du service oecuménique d'entraide la CIMADE. Je m'étais aussi formée en ethnologie, à l'université Denis Diderot à Paris, pour étudier de manière plus approfondie la problématique du théâtre avec les personnes d'origine étrangère ». Isabelle Elizéon met en pratique ses compétences d'ethnologue en organisant l'année dernière avec le photographe Nicolas Hergoualc'h, l'exposition « Histoires en villages ». Elle recueille les témoignages de seize habitants de la région de Pleyben par rapport à leur attachement à leur lieu de vie. « En dehors de la création, ce qui me plaît, c'est d'écouter les gens parler. Ce qui relie l'ethnologie au théâtre, ce sont les histoires » dit encore Isabelle Elizéon. Dans cet esprit, elle écrit en ce moment un roman basé sur les rapports entre les membres d'une famille sur plusieurs générations.

Après « Tant de voyages », une pièce qui relate les premières impressions d'un étranger qui arrive en France, la troupe de comédiens de l'ABAAFE a joué en 2006 « Entre-deux mondes », une création sur le thème de l'altérité. Le spectacle de cette année s'intitule « Chercher la vie ». Il veut amener à une prise de conscience sur le parcours tumultueux de personnes qui quittent leur pays dans le but d'avoir une vie meilleure, un travail et si possible une dignité. « Parfois, elles meurent en chemin, arrivent dans état déplorable ou sont tout simplement renvoyées chez elles, se désole Isabelle Elizéon. Ici, nous avons une vie confortable et il nous est difficile de nous rendre compte de leur situation ». Concernant le débat sur les sans-papiers qui agite actuellement la société, la metteur en scène a une position claire. « Depuis deux ans, le traitement qu'on leur fait subir me choque. On ne prend pas assez en compte leur parcours personnel. Je pense qu'il faudrait leur donner des papiers ».
C'est pour toutes ces raisons qu'Isabelle Elizéon avait envie de fabriquer une pièce sur le thème de l'exil. Six comédiennes et un comédien de nationalités différentes s'illustrent sur les planches, et pour certains c'est la première fois. Les répétitions, qui ont lieu une fois par semaine au centre social de Pen Ar Créac'h à Brest, commencent par un classique échauffement de la voix. Puis chacun s'installe dans son rôle, toujours avec une grande assurance. C'est ce métissage qui donne une couleur au spectacle. Certaines scènes sont drôles, d'autres sont très émouvantes, si bien que le public a rapidement adhéré au concept les années précédentes. « Il ne s'agit pas d'être politiquement correct mais si c'est trop soft, les spectateurs passeront à côté du message, explique Isabelle Elizéon. Je préfère laisser le temps aux nouveaux de trouver leur place. Ceux qui ont une histoire avec leur pays ont même peur qu'on montre quelque chose qui pourrait gêner. Je leur réponds qu'en France, on a pour l'instant le droit de dire ce qu'on pense... »
Personnalité aux multiples facettes, autant passionnée par les voyages que par la littérature et le théâtre, Isabelle Elizéon ne cache pas le plaisir qu'elle éprouve à chaque fois qu'elle laisse s'exprimer sur scène le talent des personnes d'origine étrangère. « C'est plus intéressant que d'écrire une pièce dramatique toute seule à une table ! » L'italien Fernandino Reale, qui joue le rôle de passeur dans « Chercher la vie », qualifie Isabelle Elizéon de « femme exceptionnelle », et pour la colombienne Juliana Carabali, « elle est très professionnelle et elle nous met vraiment en confiance pour jouer ».
Isabelle Elizéon monte actuellement un nouveau spectacle, avec les comédiennes qui ont fait leurs premiers pas avec elle, il y a trois ans. Ces stagiaires sont désormais bien intégrées et elles ont à coeur de parler d'autre chose que de leur arrivée en France. « Nous avons choisi de traiter des stéréotypes de la femme, explique Isabelle Elizéon. Nous faisons des incursions dans la publicité, le couple ou le viol comme arme de guerre. L'idée, c'est de mettre ces thèmes en pâture en demandant au public : voilà où on en est. Et vous, vous êtes où? »
Femme engagée qui n'a pas froid aux yeux, Isabelle Elizéon montre ainsi sa volonté de se « libérer du carcan du théâtre classique ». Un message qui s'adresse aux troupes finistériennes qui, de son point de vue, « manquent un peu d'effervescence sur scène ».



2008 - Christophe Pluchon

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